Mon frère a toujours haï les zoos. Un film super-8 tourné par Laurence le montre à Peaugres, juché sur le toit de la volière des perroquets, coupant avec difficulté le grillage, plus résistant que sa faible épaisseur ne l’avait laissé espérer. A 13 ans, ce n’était pas la première action de notre benjamin. Pas un hamster, pas un canari, pas un lapin nain dans la maison n’a longtemps résisté à ses volontés émancipatrices ; Il ne pleurait pas face à l’enfermement des animaux, il entrait en rage comme on entre en scène, avec grandeur, avec fougue avec affectation.
Bientôt, avec un groupe d’amis, ses convictions se radicalisèrent et il organisa des raids contre les parcs animaliers, les zoos, les laboratoires médicaux et même des éleveurs de poulets. Les journaux minimisèrent ces actes les attribuant à des groupuscules variés pour ne pas susciter des vocations en chaîne : végétaliens militants, extrême gauche révolutionnaire, sectes jaïns européanisées. Les safaris en Afrique même ne trouvaient grâce à ses yeux et son équipée violente et destructrice au Parc Kruger lui valut un long séjour en prison ; son corps subit la souffrance des hommes. Sauver les animaux, leur rendre la liberté, les respecter parviendra peut-être à sauver l’Homme, affirmait-il gravement quant on dénigrait son combat. D’un haussement de sourcils il désarmait ceux qui contestaient la nécessité de sauver l’Homme.
S’il se mesurait au nombre de bêtes relâchées, le succès de ses mouvements de libération ne se discuterait pas ; cependant combien d’animaux ont survécu, livrés à la nature, environnement hostile et dangereux, incapables de se nourrir, de résister aux maladies et aux intempéries ? Peu sans doute. Il le savait et continuait cependant de découper les cages, sacrifiant, je l’ai compris, les animaux pour le bien de l’humanité, pour éclairer les sombres temps que nous traversions.
Aujourd’hui, enfermé dans son corps de tétraplégique, il me demande de le laisser s’envoler, implorant le sort des oiseaux que si souvent il a regardé conquérir l’espace au sortir de leur cage, d’abord gauchement puis avec grâce. J’hésite. Les convictions religieuses de mon enfance ne me troublent pas. Je respecte le choix de mourir autant que celui de vivre. Ce qui me retient, au fond, c’est que j’aime bien flâner dans le zoo et contempler les aras dans la volière.
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