Je peine à contenir la fougue de l’équipage. Cinq mois de mer sans toucher terre, à affronter les tempêtes et le froid, à poursuivre de trop rares galions marchands, à réprimer les soubresauts des humeurs dans lesquels j’ai depuis longtemps appris à déceler les prémices d’une mutinerie : je la comprends.
Avant-hier, quand le feu précédant le crépuscule embrasait la poupe, la vigie, du haut de sa hune de misaine, annonça enfin que nous abordions une côte. Impossible de dire si nous pourrions accoster et si l’endroit serait hospitalier ; je décidai toutefois de mettre en perce les deux tonneaux jalousement conservés et tous les hommes, y compris notre intercesseur auprès du Très-Haut, s’adonnèrent à des libations dont l’ampleur résonna jusqu’au petit matin.
Nous avons fait le tour de ce qui s’est révélé être une île, sans y apercevoir de trace de vie et Monsieur de Grignant m’assure qu’elle mesure quelques 40 lieues de pourtour.
A côté du géographe et de l’homme de Dieu ont embarqué, dans le canot, Jean-François de Souprée le botaniste et Paul de Ravinon, mon maître d’armes, ainsi que deux de ses hommes, qui nous seront fort utiles en cas de rencontre peu civile. La colline au sud-est de l’île et qui en semble le point le plus élevé constitue le but de cette première incursion. La courte grève tapissée d’algues étouffe nos pas et je manque de m’y affaler lorsque j’en prends possession au nom de notre bon Roi.
Les hommes armés progressent avec lenteur dans une végétation oppressante. Je les sens attentifs aux signes qui témoigneraient d’un gisement d’or et de pierres précieuses et qui signifieraient la fin du voyage. Au sommet de la colline, une trouée engage le regard à contempler la quasi-totalité du territoire, d’un vert profond et sans clairière visible.
Alors que chacun fait honneur à sa spécialité, qui priant, qui dessinant, qui herborisant ou dormant, je crois apercevoir une légère fumée au nord-est. Je m’élance, sans un mot pour mes hommes médusés, sans une pensée pour les branches qui flagellent mon corps. Vendredi, je t’ai enfin retrouvé !
Voir l'origine des désirs théicoles sur
Désirs Théicoles : Poésie et loufoquerie autour d’une tasse de thé